Patrimonialization - Patrimonialisation
François-René Martin 1 , Pierre Wat 2 , Peter Geimer 3
1Ecole Du Louvre - Paris (France), 2Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (France), 3 DFK Paris (France)
Sujet en anglais / Topic in english
In the wake of Alain Schnapp's fundamental work, particularly his Histoire universelle des ruines, we will examine a very specific category of ruins. Those which, while their status of monumental ruin, worthy of being preserved, was established, are the object of destruction. There is first of all the long time that transforms an outstanding monument into a ruin; then comes the time of preservation that tries to stop them in a precise state. Sometimes an act comes afterwards which ruins them even more, until they disappear. There are too many examples of these voluntary destructions of ruins which formed a considerable part of the world's imagination and heritage. The recent news or even the present give many examples, from the Buddhas of Bâmiyân to the temples of Baalshamin or Bêl in Palmyra. The history of this very specific type of discussion, which does not concern the monument, but the vestige, deserves to be studied in depth. The power of these monuments for those who seize them by destroying them, as well as the power of the images of these same destructions, is never more than a new declination of iconoclasm -- or of the iconoclash that was the subject of Bruno Latour and Peter Weibel's programmatic exhibition at the Zentrum für Kunst und Medientechnologie in Karlsruhe in 2002.
This question, where the history of heritage and iconoclasm intersect, also involves problems of materiality and immateriality. Epistemological questions first of all. What can be the monumental status of the extreme and terminal ruins that are these new devastated monuments, reduced to dust or derisory rubble? How can we document the history of these monuments and their successive states, at a time when digital tools allow us to make virtual reconstructions of unprecedented precision? What choices of reconstitution or restoration should be adopted, in the face of such destruction, at a time when the virtual and even material reproducibility of monuments can reach unprecedented degrees of precision? Finally, the memory of these extreme ruins must be questioned. That which is aimed at in these destructions, indissociable from the communities which are attached to them in the spirit of those who perpetuate them. That of the very act of destruction, which is necessarily carrying meaning and which will be an integral part of the monument, in its double material status, made of subsisting traces, debris, dust, and of absence, immaterial ruin having existed and remaining only as a memory with some tiny material remains.
Sujet de la session en français / Topic in french
On s’interrogera ici, dans le sillage des travaux fondamentaux d’Alain Schnapp, particulièrement son Histoire universelle des ruines, sur une catégorie bien spécifique des ruines. Celles qui, alors que leur statut de ruine monumentale, digne d’être préservée, était établi, font l’objet d’une destruction. Il y a tout d’abord le temps long qui transforme un monument insigne en ruine ; vient ensuite le temps de la préservation qui tente de les arrêter dans un état précis. Vient parfois ensuite un acte qui vient les ruiner davantage, jusqu’à les faire disparaître. Trop nombreux sont les exemples de ces destructions volontaires de ruines qui formaient une part considérable de l’imaginaire et du patrimoine mondial. L’actualité récente ou même le présent en donnent de très nombreux exemples, des Bouddhas de Bâmiyân aux temples de Baalshamin ou de Bêl à Palmyre. L’histoire même de ce type bien précis de discussions, qui ne touche pas le monument, mais le vestige, mérite d’être approfondie. Le pouvoir de ces monuments chez ceux qui s’en emparent en les détruisant, comme celui des images de ces mêmes destructions n’est jamais qu’une nouvelle déclinaison de l’iconoclasme –– ou de l’iconoclash dont traitait l’exposition programmatique de Bruno Latour et Peter Weibel au Zentrum für Kunst und Medientechnologie à Karlsruhe en 2002.
Cette question, où se croisent l’histoire du patrimoine et celle de l’iconoclasme, engage également des problèmes de matérialité et d’immatérialité. Questions épistémologiques tout d’abord. Quel peut-être le statut monumental des ruines extrêmes et terminales que sont ces nouveaux monuments dévastés, réduits à de la poussière ou à des décombres dérisoires ? Comment documenter l’histoire de ces monuments et leurs états successifs, à l’heure où des instruments numériques permettent d’en faire des reconstitutions virtuelles d’une précision inédite ? Quels choix de reconstitution ou de restauration adopter, face à ces destructions, à un moment où la reproductibilité virtuelle et même matérielle des monuments peut atteindre des degrés de précision inédits.
Enfin, la mémoire de ces ruines extrêmes doit être interrogée. Celle qui est visée dans ces destructions, indissociable des communautés qui leurs sont rattachées dans l’esprit de ceux qui les perpétuent. Celle de l’acte même de destruction, qui est forcément porteur de sens et qui fera partie intégrante du monument, dans son double statut matériel, fait de traces subsistantes, débris, poussière, et d’absence, ruine immatérielle ayant existé et ne subsistant plus que comme un souvenir avec quelques restes matériels infimes.
Sophie Paviol 1 , Karam Al-Obaidi 2
1 École Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble-UGA (France), 2 Sheffield Hallam University (UK)
Sujet en anglais / Topic in english
How can the materiality of artwork and architecture that were designed and produced in the tropics be characterized? What has their reception been and how are have they been conserved? How can they be turned into heritage in the 21st century, following a decolonial approach?
The tropics are characterised by high moisture levels and are subject to natural hazard. These conditions are an encouragement for historians, curators and architects to look at artifacts (art, crafts, architecture) from these geographic areas with acuity and without relying on any type of preconception. Are they eroded, damaged or ruined more quickly than in areas with a continental climate? Are their specific properties truly acknowledged? How can we not merely look at their apparent fragility?
Reflecting upon at the material history of these works and studying their physical characteristics should allow to provide a more accurate assessment of the gap between what their surface suggests and their true state of conservation.
Can one identify early 20th century materiality that would be referred to as ‘tropical’ in the sense that their characteristics would be different from those of so-called standard materials that were put on the market after the Second World War?
This session will focus on the historic and geographic aspects of these tropical materials and materiality: distance or proximity, availability or scarcity, know-how and technicity, innovation or standards. How did some of these lead to different perceptions of vulnerability in the face of climatic hazards and in a context of modernisation and modernity? Why would some artefacts require specific care or maintenance? What lessons can be learned from tropical situations (related to the environment, culture and cult) in order to suggest conservations methods that are different from those encouraged by occidental rationales?
Works produced in a tropical context call for the production of histories that are grounded in material and political dimensions, as well as in remembrance. What conditions and criteria are required to identify and appropriate materiality that has been produced in a colonial context? Who is entitled to claim this heritage? What categories make sense for the populations of these geographic areas in the 21st century?
Sujet de la session en français / Topic in french
Matérialités en situation tropicale : propriétés, réceptions et patrimonialisations
Qu’en est-il des propriétés, de la réception et de la conservation des matérialités des œuvres d’art et architectures conçues en situation tropicale ? Que peut-il en être aujourd’hui de leurs patrimonialisations au regard d’une pensée décoloniale ?
Les tropiques se caractérisent notamment par des taux d’humidité élevés et des aléas climatiques qui invitent historiens, conservateurs et architectes à regarder avec acuité et sans a priori les matières et matérialités de leurs objets artistiques, artisanaux ou architecturaux. La rapidité avec laquelle le climat tropical peut sembler les dégrader interroge l’attention que nous portons à leurs propriétés, temporalités et fragilités apparentes. Faire l’histoire matérielle de ces œuvres pour en connaître les caractéristiques physiques devrait permettre d’évaluer plus précisément les possibles écarts ce que leurs surfaces peuvent donner à voir et la réalité de leur état de conservation.
Existe-t-il, en particulier au tournant du XXe siècle des matérialités qui pourraient être qualifiées de « tropicales » parce qu’elles présenteraient des propriétés différentes de celles des matériaux dits standards commercialisés après la seconde guerre mondiale ? Cette session propose de mieux comprendre ce que seraient historiquement et géographiquement ces matières et matérialités tropicales : éloignement ou proximité, disponibilité ou rareté, savoir- faire ou technicité, innovation ou cadre normatif. Comment ont-elles initié — avec la modernisation et la modernité — des perceptions différentes de la vulnérabilité face aux aléas climatiques ? Pourquoi certains de leurs objets requerraient-ils des campagnes spécifiques de soin ou d’entretien ? N’y a-t-il pas à apprendre des situations tropicales (milieux environnementaux, culturels et cultuels) des conditions de conservation autres que celles de la logique occidentale ?
Les œuvres produites en situation tropicale appellent à l’écriture d’histoires à la fois matérielles, politiques et mémorielles. A quelles conditions et à partir de quels critères peut- on reconnaître et s’approprier aujourd’hui des matérialités mises en œuvre en situation coloniale ? Par qui ces patrimoines peuvent-ils être revendiqués ? Quelles sont au XXIe siècle les catégories qui font sens pour les habitants des basses latitudes ?
Maria Inez Turazzi 1 , Hélène Sirven 2, Yuning Teng 3
1Université Fédérale Fluminense - Rio De Janeiro (Brazil), 2Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne (France), 3University of Hamburg (Germany)
Sujet en anglais / Topic in english
Patrimonialisations (heritagizations)
The interest in the choices, practices, and social uses of heritage has fostered the appearance and dissemination of the neologism "patrimonialisation" / "heritagization", which has been gradually introduced into the public activity and common sense of the different linguistic communities. The recurrence of a transitive and plural form reveals an emphasis on dynamic and multi-faceted operations applied to heritage objects through the interaction of diverse subjects, logics, frameworks, and experiences. Patrimonialisations provide a particular perspective on history by placing the choice and the preservation of the lieux de memoire (places of memory) at the center of social and political tensions, in the past and present. The discussion of centralizing hegemonies, as well as the attention to local singularities in their interactions with global history, point to new perspectives on patrimonialisations, particularly in postcolonial societies.
How do patrimonialisations operate in their historical genesis? What makes a public or private good, an expertise, a practice, or an event a heritage object? How are they identified and hierarchized? Do these hierarchies have an impact on the conservation and appropriation of heritage objects, as well as their incorporation into an increasingly standardized and globalized value system? Are the actors able to guarantee the preservation of what they transform into heritage for themselves and for future generations? Is it possible to define self- patrimonialisation and over-patrimonialisation? As a consequence of disputes and negotiations, of consensus and dissension, these processes are inserted into the global issues of heritage.
The anthropological approach of the different cultural experiences around these processes "invites us to reconsider the material world as an environment composed of medium, substances, and surfaces in permanent transformation" (CIHA, Call for Sessions). They include artistic creation, places of formation, workshops, exhibition spaces, the art market, the fabrication of materials, and other art subjects and fields. The increasing visibility of heritage assets offers new perspectives for research into these phenomena. Meanwhile, digital technology has brought a profound shift in the cognitive, aesthetic, and affective mobilization of heritage products and processes. Photography, having actively participated in the creation and perception of various heritages, has established a culture based on material and immaterial objects of the past while also undergoing technological and conceptual renewal of its practices and applications. The same could be said of the book, the museum, the monument, the landscape, or the work of art.
Patrimonialisation processes also indicate that material objects from the past and those emerging today are seen as materiality in permanent interaction with the choices of memory and oblivion. Exploring the similarities, differences, and connections between these processes, which can be highly heterogeneous, is essencial to art history, and vice versa. Despite the multiplicity of local approaches to heritage, patrimonialisations are concerned with the same global issues that run through art, its materiality, history, and future (The reference bibliography on the subject can be enriched by various contributions).
Sujet de la session en français / Topic in french
L’intérêt pour les choix, les pratiques et les usages sociaux du patrimoine a favorisé l’émergence et la diffusion du néologisme « patrimonialisation », peu à peu introduit dans l’action publique et les sens commun des différentes communautés linguistiques. La récurrence à la forme transitive et plurielle révèle un accent mis sur les opérations dynamiques et multifacettes appliqués aux objets patrimoniaux par l'interaction de sujets, logiques, cadres et expériences divers. Les systèmes de patrimonialisation permettent un regard particulier sur l'histoire, puisqu'ils placent le choix et la préservation des ‘lieux de mémoire’ au centre des tensions sociales et politiques, du passé et du présent. La remise en cause des hégémonies centralisatrices et l’attention sur les singularités locales dans leur interaction avec l'histoire globale indiquent de nouvelles perspectives sur les patrimonialisations, notamment dans les sociétés postcoloniales.
Comment s'opèrent les patrimonialisations dans leurs genèses historiques ? Comment un bien public ou privé, un savoir-faire, une pratique ou un événement deviennent-ils des objets patrimoniaux ? Comment sont-ils identifiés et hiérarchisés ? Ces hiérarchies influencent-elles la conservation et l'appropriation des objets patrimoniaux et leur inscription dans une échelle de valeurs de plus en plus standardisée et mondialisée? Les acteurs sont-ils en mesure de garantir la préservation de ce qu'ils transforment en patrimoine pour eux-mêmes et pour les générations futures ? Peut-on parler d’auto-patrimonialisation et de sur patrimonialisation ? Résultat de disputes et de négociations, de consensus et de dissensions, ces processus s'insèrent dans les enjeux mondiales du patrimoine.
L'approche anthropologique des différentes expériences culturelles autour de ces processus « nous invite à repenser le monde du matériel avec un monde de matières en perpétuelle transformation » (CIHA, Appel à sessions). La création artistique, les lieux de formation, les ateliers de travail, les espaces d'exposition, le marché de l'art, la fabrication des matériaux, entre autres sujets et territoires de l'art, sont convoqués par ces processus. En ce sens, la visibilité croissante des biens patrimonialisés offre de nouvelles perspectives pour l'étude de ces phénomènes. L'avènement du numérique a provoqué une transformation radicale dans la mobilisation cognitive, esthétique et affective des biens et processus patrimoniaux. La photographie, ayant participé activement à la fabrication et perception de patrimoines divers, a instauré une culture sur les objets matériels et immatériels du passé et, en même temps, un profond renouvellement technologique et conceptuel de ses pratiques et usages. On pourrait en dire autant du livre, du musée, du monument, du paysage, de l'œuvre d'art.
Les processus de patrimonialisation indiquent également que les objets matériels du passé et ceux qui émergent aujourd’hui soient regardés comme une matérialité en permanente interaction avec le choix de mémoire et de l’oubli. Explorer les similitudes, les différences et les connexions entre ces processus, parfois extrêmement hétérogènes, est enrichissant pour l'histoire de l'art. Et vice versa. Malgré la multiplicité des approches locales du patrimoine, les patrimonialisations sont concernées par les mêmes enjeux globaux qui traversent l'art, sa matérialité, son histoire et son avenir (la bibliographie de référence sur le thème peut être enrichie des différents contributions).